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LA FERME DE BOURLATIER (Cne de Saint-Andéol de Fourchades)

Historique

Le rassemblement se fit à l'emplacement précis de l'ancien château de Bourlatier, dont les vestiges sont enfouis à 1 400 mètres d'altitude, non loin de la ligne de partage des eaux Atlantique-Méditerranée. « Bourlatier », c'est étymologiquement le coin des bourles, terme qui signifie : souche d'arbre, très dure, qui demeure après la coupe dans la forêt. Il devait y avoir, à la place des vastes étendues dénudées, à l'allure de steppe, que nous contemplons aujourd'hui, d'énormes souches de fayards coupés, noueuses, aux formes plus ou moins arrondies, comme en voit encore dans les bois de nos régions qu'on trouve en terrain sec, en altitude et exposées au mauvais temps. Il paraît raisonnable de voir dans l'association des termes bourle et latier (coin ou côté, latus), l'origine de cette appellation.

Bourlatier

La couverture de lauzes a une surface de 900 m² et pèse 150 tonnes

En 1632, Claude de Lestrange entreprend les fondations d'un château adjacent au domaine, à l'emplacement précité. Ce personnage est bien connu dans l'histoire de la ville de Privas : son mariage avec Paule de Chambaud fut à l'origine du trop fameux siège de Privas par les troupes du roi Louis XIII et du cardinal de Richelieu. Il n'y avait alors en ce lieu précis de Bourlatier qu'une petite ferme à l'aspect de maison forte, au milieu des bois. Claude de Hautefort les fait défricher et agrandit la ferme.
Vers 1640 ou 1650, le puissant seigneur Charles de Saint-Nectaire (ou de Sennecterre, selon l'orthographe la plus courante), qui a contracté alliance avec Marie de Hautefort de Lestrange, baron de Privas et de Boulogne, seigneur de Saint-Martial et de Fourchades, fait terminer la construction du château et apporte de nouveaux aménagements à la ferme. En 1641, il autorise les habitants de la paroisse des Sagnes en Vivarais à prendre du bois dans ses forêts de Bourlatier et d'Ourseyres (« la montagne des ours », car il y en avait encore au xve siècle).
Vers 1660 ou 1670, le sieur de Châteauneuf, gendre du précédent, fait couper, brûler et défricher le bois de Bourlatier, puis fait bâtir une petite maison avec de grandes écuries et un grenier à foin. À cette même époque, il ordonne la construction de « quatre granges en forme » (sic) dans les environs du château ; ce sont : Luberte, au nord, Le Clappas, appelé aussi la Maison Neuve ou La Grange Neuve de Bourlatier, Cagnard, sur les pentes du Gerbier de Jonc, dans le mandement de Ligeret, près de Sainte-Eulalie, enfin, une grange sur la montagne d'Ourseyres.

Bourlatier, Le Clappas, Luberte et Cagnard constituent les quatre « domaines nobles » du seigneur de Bourlatier, mentionnés dans les actes officiels des notaires de Saint-Martial et de la région. Mais voici qu'en 1672 un mauvais coup est porté au château : un agent d'Henri de Sennecterre, Jean La Combette, fait envahir le demeure par une bande de quatre-vingts fusiliers. Ceux-ci enlèvent les bestiaux de la ferme, pillent le mobilier du château et blessent le fermier-général, un certain Marcellin Malègue. Le Vivarais connaît, en cette fin du xviie siècle, une épidémie de troubles, et nous pensons tout naturellement à la célèbre révolte d'Antoine Roure. Les bandes de pillards et d'insoumis, des paysans qui se dérobent aux agents du fisc, sèment le trouble un peu partout. Ceux de la région qui tombent dans les pièges des soldats du roi, viennent effectuer un séjour dans la prison du château avant de terminer leur malheureuse vie par le supplice horrible de la roue, sur l'éminence toute proche.

La ferme de Bourlatier vue du sud-est

La ferme de Bourlatier vue du sud-est.
On remarque, au centre, la pente (montadou) par où les bêtes attelées pouvaient transporter le fourrage jusque dans la grange à foin (feneire), celle-ci occupant tout l'étage (500 m²). La petite aile, perpendiculaire au bâtiment principal, au fond, ne date que du XIXe siècle et servait de bergerie.

Par le jeu des alliances, la seigneurie de Saint-Martial, et avec elle Bourlatier, échoit à Louis de Crussol, de 1701 à 1724. Le notaire royal de Boulogne, fermier-général de Bourlatier, constate en 1721 que des réparations urgentes doivent être effectuées au couvert du château et à celui du grenier à foin de la métairie : « [...] le portail de la basse-cour du château est en ruines aussi bien que ledit château, excepté la cuisine où habite le fermier, que la grange d'Ourseyre menace aussi ruine ; qu'à Luberte cinq tenans sont enfoncés dans les ays [...] le toit doit être revu, des poutres sont à remplacer... ».  De 1724 à 1763, Charles César de Fay, né au château de Gerlande, près de Vanosc, obtient la seigneurie de Bourlatier par arrêt du Parlement de Paris.

Mais il semble bien que si les quatre domaines nobles, ainsi que la grange d'Ourseyres, sont entretenus - et donc conservés -, il n'en est pas de même du château qui est plutôt délaissé. En effet, le 27 mars 1747, Me Abrial d'Issas, au nom du marquis de Gerlande, autorise Jean Mathieu Besson, propriétaire de La Garde, commune et paroisse de Sainte-Eulalie, à prendre les marches de l'escalier d'honneur du château ainsi que les colonnes surmontées de chapiteaux ornés et d'autres belles pierres que nous verrons ce soir à La Garde.
À la mort du marquis de Gerlande, la seigneurie de Saint-Martial et Bourlatier reviennent aux de Crussol, de 1763 à 1772, ensuite à Emmanuel Armand du Plessis de Richelieu, de 1772 à 1779 ; enfin, de 1779 à 1789, les Julien de Ronchal, appelés aussi Julien de Baumes, sont les derniers seigneurs de Bourlatier. Un Julien de Baumes est encore propriétaire du domaine de Bourlatier en 1802.
Cependant, le château de Bourlatier était en ruines bien avant 1789, et depuis cette date il a subi le sort injuste des constructions nobles et des abbayes de notre région. Les belles sculptures qui ornent l'entrée du cimetière de Sainte-Eulalie en viennent ; beaucoup d'autres de ces pierres ont servi à la construction des fermes des environs ou à leur aménagement. On peut voir à La Mascharade, quartier sud de la paroisse de Sainte-Eulalie (commune des Sagnes depuis 1793), une maison entièrement construite avec des pierres du château.
Les fouilles entreprises en 1910 ont mis au jour les ossements d'une dizaine de chiens. D'après MM. Paul Besson et Paul Camus, ce seraient sans doute des chiens de chasse ayant péri dans l'incendie du château.

Dans la ferme de Bourlatier, l'habitation
                  se situait en partie basse, à l'extrémité
                  du bâtiment, en prolongement de l'étable.

L'habitation se situait en partie basse, à l'extrémité du bâtiment, en prolongement de l'étable.
La petite construction adossée au mur principal jouait le rôle de cave.

Pourquoi un château à Bourlatier, sur les confins des seigneuries de Fourchades et de Goudoulet ? Le château féodal de Fourchades, près du village actuel de Saint-Andéol, était en ruines depuis longtemps. Sa disparition remonte aux temps malheureux de la guerre de Cent Ans, aux environs de 1380 ; elle est probablement le fait de la révolte des Tuchins ou de bandes de pillards qualifiés généralement de « routiers ». Et nous pensons tout naturellement aux routiers Anglais. C'était en effet l'époque où l'on voyait des Anglais partout. Au xviisiècle, le problème de sa reconstruction s'est posé, mais, pour des raisons mal connues, cette tentative n'a jamais abouti. 
   D'autre part, le site de Bourlatier, sur lequel s'étendait la forêt séculaire, impénétrable, était vraiment inhospitalier ; on ne s'y aventurait qu'avec précaution. Dans ce coin reculé du « pais de Boutières » (sic), où les bandes de voleurs cherchaient refuge et vivaient dans une sécurité à peu près certaine, Claude de Hautefort de Lestrange, seigneur fier et courageux, aimant aussi l'aventure, voulut à son tour se poser en maître incontesté de la région et impressionner les bandes en prenant la décision de construire un château. Chose étonnante, il mit son projet à exécution à un moment où, précisément, Richelieu, par un décret de 1633, ordonnait le démantèlement des châteaux du Vivarais.

Voici donc le domaine de Bourlatier, que nous allons maintenant visiter : bâtiment tout en longueur coiffé d'un toit de lourdes lauzes grises. Une rampe (montadou) accède au vaste grenier à foin (feneire) dans lequel nous pouvons examiner la structure de la robuste charpente, aux dimensions de cathédrale, qui supporte les lauzes.

Malartre (François) et Carlat (Michel), Visites à travers le patrimoine ardéchois,
Privas, Société de Sauvegarde des Monuments anciens de l'Ardèche, 1985
(Visite de la Sauvegarde du 7 août 1972)

Une datation par dendrochronologie (analyse des cernes du bois de charpente) a conduit à dater la construction des années 1642-1643.
(cf. Carlat Michel « La dendro-chronologie au service de la connaissance d'un patrimoine bâti en péril : les granges du plateau ardéchois » Rev. Vivarais XCX-1, janv.-mars 1996, p. 27-52.)

Depuis 1987, la ferme de Bourlatier est la propriété de l'association Liger qui l'a entièrement rénovée, rénovation qui lui a valu en 1988 le premier prix de l'émission « chefs d'œuvres en péril ». C'est maintenant un site incontournable du Plateau ardéchois, géré par le Syndicat mixte de la Montagne ardéchoise qui en assure la visite et y organise diverses manifestations (expositions, salon du livre).

Bourlatier : L'étable Autre vue de l'étable

Bourlatier : l'étable
De robustes piliers de pierre supportent le plancher de la feneire où le poids de fourrage pouvait atteindre 300 kg/m²


Bourlatier : La grange à foin ou feneïre Bourlatier : La feneïre - Détail de la charpente
Bourlatier : Autre détail de la charpente

Bourlatier : la grange à foin ou feneïre
La charpente, en forme de vaisseau renversé, est typique des granges de la région. Les grandes poutres transversales, formant deux à deux un V renversé, sont les "arbalétriers" ou "tenants" (tenalhs). Ils reportent le poids des lauzes (150 tonnes) sur les poteaux verticaux (ou piédroits), qui supportent chacun 4 tonnes. Cette disposition évite que le poids de la toiture ne porte sur les murs.