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Au pays de Vernoux
Châteauneuf-de-Vernoux - Prieuré Saint-Félix - Château de Vaussèche

BRÈVE HISTOIRE DE CHÂTEAUNEUF-DE-VERNOUX

Châteauneuf-de-Vernoux est indissociable de sa tour, qui domine le village, lui a donné son nom et en constitue le symbole. Castrum novum (le château neuf) est mentionné dans les textes pour la première fois en 1224. Mais sa construction est sans doute largement antérieure, bien qu'aucun élément tangible ne l'atteste, à l'exception d'une pièce de monnaie sarrasine retrouvée à son pied et datant donc probablement des invasions du xe siècle, quand l'instabilité et l'insécurité avaient gagné la région, consécutivement à l'effondrement de l'empire carolingien. Son érection s'est très certainement inscrite dans la vague de constructions protectrices qui ont couvert l'actuel territoire de l'Ardèche (cent cinquante recensées, environ, sur la période 950- 1200).
Contrairement à la majorité de ces unités fortifiées, qui deviennent alors des chefs-lieux de mandement (ou châtellenie), nouvelle unité administrative de l'époque, et sauf en de rares moments de sa courte carrière défensive, Châteauneuf, village installé d'abord à l'intérieur puis au pied des remparts de la forteresse, fut administré, tout au long du Moyen Âge, en co-seigneurie au gré des successions et partages familiaux entre les nobles de La Tourette, Chalencon, Tournon ou Pierregourde.
La co-seigneurie est alors un phénomène largement répandu dans le Midi et les suzerains successifs s'accommodent généralement de la situation sans s'en réjouir. Ce statut intermédiaire correspondait bien à sa nature de vigie et, occasionnellement, de « tampon » au cœur d'une zone à la souveraineté incertaine, souvent contestée et parfois débattue.

la tour de Châteauneuf

La tour de Châteauneuf-de-Vernoux

Et si l'on passera sur toutes les disputes consécutives aux hommages de l'un ou l'autre à tel ou tel monarque, il suffira pour comprendre cette position frontalière quasi permanente de signaler qu'en 1308, quand l'évêque de Viviers reconnaît l'autorité du roi de France, ses États du Vivarais n’englobent pas encore le nord de la vallée de l'Eyrieux. À cette époque, Châteauneuf, passé sous la tutelle du comte de Valentinois, marque donc la limite sud du royaume de Bourgogne, soumis à l'Empereur, face à La Tourette, porte d'entrée du Vivarais et des États du Languedoc. La région éprouve alors un climat de tension que le rattachement du Dauphiné à la France, quarante-et-un ans plus tard, apaisera sans doute.
Des garnisons se succèdent, rien ne laissant penser qu'elles aient été particulièrement nombreuses. Les donjons grossissent, ce qui permet d'avancer que la tour qui demeure, avec sa largeur nettement supérieure à dix mètres, de par ses caractéristiques architecturales, doit dater du xiiie siècle. Et elle aurait été le lieu d'exercice d'un droit de péage sur les chemins passant à son pied, selon l'étude de Franck Bréchon, confirmée par plusieurs éléments archéologiques.
Au moment de la Réforme, le seigneur qui a autorité sur Châteauneuf se trouve être François de Barjac et de Pierregourde par alliance, qui deviendra vite un des principaux chefs huguenots. Il entraîne donc toute la population locale dans la voie protestante. S'en suivront la destruction de l'église paroissiale, jamais reconstruite, puis celle du château, au cœur des guerres de Religion. Pourtant, quand Henri de Montmorency (plus souvent cité sous le nom de M. de Damville), gouverneur du Languedoc, décrète en 1567, en même temps que celles de Vernoux, le démantèlement des fortifications de Châteauneuf, son ordre ne pourra semble-t-il être exécuté qu'en 1582, du fait de la résistance des habitants.
Il n'en demeure donc que la tour, le reste des pierres ayant servi à construire la plupart des maisons du bourg. Ce simple pan de mur se plaît et s'entête cependant à toiser la campagne comme un phare sa baie, d'autant plus immanquable qu'il est illuminé la nuit, luisance parmi les étoiles au ciel d'été ou halo diffus perçant les brumes hivernales. Mais l'édifice n'a donc guère d'histoire connue, aucune assise particulière dans le temps, peu de documents le mentionnent et sa vie active fut apparemment furtive.
À la fin du xviie siècle, « l'aspect du château était déjà à peu près tel qu'aujourd'hui. En avant, fondé sur un roc en saillie, se dressait la façade d'une tour carrée à trois étages, jadis surmontée d'une échauguette et flanquée, à ses angles supérieurs, de deux tourelles en encorbellement dont l'aspect a dû être gracieux », selon l'historien Jules Sonier de Lubac (Revue du Vivarais, 15 juin 1893). Les amas de pierres alentour ont servi à construire les maisons actuelles.
« Cette ombre de fief sans toit et sans justice [...] où la Révolution ne trouvera rien à détruire » (Sonier de Lubac, op. cit.), passera dans les mains de différents propriétaires avant d'être récemment acquise par la commune qui en assure l'entretien.
Ce sont donc plutôt les persécutions contre les pasteurs, après la révocation de l'Édit de Nantes (1685), et la révolte des Camisards au xviiie siècle, qui marqueront fortement et durablement l'histoire et la mémoire du village, plus encore que la Révolution, qui n'a pas laissé de traces particulièrement sensibles sur le plateau de Vernoux. Le développement agricole permettra ensuite un essor de la population locale qui oscillera entre 500 et 550 habitants tout au long du xixe siècle. C'est l'époque où plusieurs commerces et artisans sont installés à Châteauneuf.
La municipalité profitera de la promulgation de la loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l'État pour demander et obtenir le changement de nom de la commune : Saint-Félix-de-Châteauneuf deviendra en 1909 Châteauneuf-de-Vernoux, appellation plus appropriée au souhait de la majorité des administrés, aux convictions protestantes et/ou laïques.
La première guerre mondiale et l'exode rural saigneront ensuite progressivement la commune, tombée en-dessous du seuil des 200 habitants dans les années 1970. Mais la qualité de vie de ce « Petit Nice », tel qu'on le surnomme souvent, adossé au flanc sud du Serre de la Roue qui le protège du vent du nord, et un regain de l'activité économique attirent désormais à la fois les néo-ruraux et les jeunes ménages. Cet apport a fait repartir à la hausse, depuis une quinzaine d'années, la courbe des recensements qui atteint 250 résidents permanents. La fréquentation de la crèche, installée en 2010 dans l'ancien temple, en est le vivant témoignage.

Patrick Lafayette

PRIEURÉ SAINT-FÉLIX

Le prieuré Saint-Félix

Le prieuré Saint-Félix

La visite du prieuré Saint-Félix a été très intéressante, voire captivante, grâce à l’intérêt que son propriétaire, Olivier Chastagnaret, a su susciter en évoquant non seulement son histoire mais en nous faisant découvrir différents aspects du lieu.
Nous avons commencé la visite devant le parvis de la chapelle, aujourd’hui petite église paroissiale, qui donne sur une cour bordée d’un côté par un ancien cimetière et de l’autre par le mur du jardin intérieur de la demeure des anciens prieurs qu’Olivier Chastagnaret a achetée en 2012. Après rappel de quelques caractéristiques historiques du prieuré, nous sommes entrés dans l’église, puis, en empruntant une porte à gauche du chœur, nous avons pénétré dans l’ancienne chapelle funéraire, encore visible grâce à ses arceaux ogivaux. La visite s’est poursuivie jusqu’aux pièces du rez-de-chaussée du prieuré, dont la cuisine témoigne plus que les autres pièces des vestiges du passé. Nous avons alors débouché sur le jardin intérieur, un magnifique carré de verdure et de plantes avec, au fond contigu au prieuré, des bâtiments bas qui servaient de remises. C’est dans ce havre de verdure que nous attendaient des rafraîchissements.
Enfin, en empruntant la porte du prieuré, Olivier Chastagnaret nous a montré l’allée qui y mène et qu’il est en train de rénover de façon remarquable. Il nous a ensuite fait descendre de quelques mètres pour voir en contrebas les caves voûtées qui servaient de réserve alimentaire. C’est avec ce point de vue que nous avons pu admirer le prieuré dominant les alentours et apparaissant avec éclat dans la lumière de juillet.

chapelle de saint-Félix

Prieuré Saint-Félix - La chapelle

Un peu d’histoire

Situé sur la commune de Châteauneuf-de-Vernoux, le prieuré Saint-Félix aurait été construit sur un ancien lieu de culte celtique dédié aux morts comme semblerait l’indiquer la pierre encore visible devant l’entrée de l’église sur laquelle il fallait monter pour se présenter. Il a vraisemblablement été rattaché, à l’origine, à l’abbaye de Cruas. D’abord érigé sous le vocable de Saint-Benoît avec pour prieurs des bénédictins, il prend le nom de Saint-Félix, sans qu’on en sache la raison. Pourquoi ce changement de nom ? Cette nouvelle appellation invoquerait-elle le martyre de saint Félix au iiie siècle, considéré comme l’un des fondateurs de l’Église de Valence ? Ou serait-ce en référence à Félix Ier, pape de 269 à 274 ? Quoi qu’il en fût, le prieuré Saint-Félix était une ferme exploitée au profit du couvent dont il dépendait et que dirigeait un prieur envoyé par sa communauté.

Au xive siècle, date à laquelle les archives en font mention, le prieuré – propriété de la famille de Hautvillard dont le château est à Silhac – change de statut. Il devient « bénéfice ecclésiastique » comme l’atteste un terrier de 1315. Ce bénéfice, transmis d’oncle à neveu pendant deux siècles, provient des terres exploitables gérées par les prieurs successifs qui ont tendance à les sous-estimer dans le but d’amoindrir les redevances.
Vers le milieu du xvie siècle, le courant réformé ayant détruit l’église paroissiale de Châteauneuf, le prieur de Saint-Félix, François Vachier, décide en 1644 d’établir une cure au prieuré. Au bout de quatre ans, à la suite de la démission du prieur, le prieuré échoit à Jean-Pierre des Boscs de Saignes dont la famille est originaire de Saint-Barthélémy-le-Pin. Le dynamisme du nouveau prieur, qui ne cesse d’intenter des procès aux différents propriétaires pour récupérer les droits et revenus de la cure de Châteauneuf et de ses six chapelles, fondées par des nobles des environs, aboutit à la construction, en 1670, d’une église. Édifiée à côté de la chapelle Barrier construite en 1511, dont il reste aujourd’hui la trace sous la forme d’une pièce aux arcs ogivaux enchassée entre l’église et la maison d’habitation, la nouvelle église est bénie avec l’autorisation de l’évêque, le 8 mai 1672.

caves de saint-Félix

Prieuré Saint-Félix - Les caves

Après la mort de Jean-Pierre des Boscs, le 20 mai 1704, le prieuré qu’il a légué au fils de sa sœur, l’abbé des Morfins, est résigné en 1719 à son neveu l’abbé Jean des Boscs. Ce dernier le transmet à son petit neveu, Jean-Marc des Boscs en 1777 qui vient d’hériter de la succession de son frère aîné qui avait fait fortune à Saint- Domingue. Riche de 300 000 livres, il fait alors construire en 1780 une demeure confortable qui communique intérieurement avec l’église. Il acquiert de beaux domaines, dont Barrier et La Grange. Cet homme généreux et hospitalier, et peut-être acquis aux idées nouvelles au point d’abandonner son traitement au profit de la République, traverse la période révolutionnaire sans encombre et meurt en 1824. Il repose dans une crypte sous le chœur de l’église.
Sa famille garde le prieuré jusqu’au décès le 4 août 1970 de M. Henri Affre, qui avait légué le prieuré au diocèse de Viviers. Grâce à la famille Percie du Sert qui l’achète le 14 mai 1976, il est sauvé de la ruine et entretenu jusqu’en 2012, date à laquelle Olivier Chastagnaret en devient le propriétaire.

Nathalie Viet-Depaule
d'après des notes d'Olivier Chastagnaret

Sources

 

CHÂTEAU DE VAUSSÈCHE

vaussèche

Château de Vaussèche

Son histoire

Situé sur la commune de Vernoux-en-Vivarais, le château de Vaussèche se découvre au fond d’un petit val, au centre d’un territoire délimité par un ruisseau et une route. Il était à l’origine une importante maison forte qui, comme tout monument historique, a évolué du Moyen-Âge au xviiie siècle. La première mention du château date, selon les sources, de 1254 ou de 1268, dates auxquelles il est attesté qu’il a appartenu à Pierre de Presles, seigneur de Vaussèche, mais qu’une partie du domaine, « dit tènement de la Bruyère », était propriété de Pierre de Saint-Priest. Ce tènement cédé en 1268 à Jean de Colans, seigneur des Peschiers à Vernoux, puis à Hugon de Presles, est donné en 1279 à André Maurice, châtelain de Chalencon au Pont de Chervil. Au gré des alliances, le domaine de Vaussèche retrouve son unité. Il est possible d’énumérer à partir du mariage, en 1548, de Louis de Presles, écuyer, seigneur de Vaussèche, du Chambon et de Geys, avec Guillaumette de Chambaud, héritière du château de La Tourette, les noms des différents propriétaires de Vaussèche : il passe de la famille de Presles en 1593 à celle de Ginestous puis, en 1666, à celle de La Rivoire dont les descendants, seigneurs de la Tourette, possèdent Vaussèche jusqu’à la Révolution.
Entre-temps, le 12 février 1732 le château avait été témoin d’un événement historique qui mérite d’être signalé : l’arrestation du pasteur Pierre Durand – le restaurateur et martyr du protestantisme – au gué qui permettait de franchir le ruisseau du domaine sans que son propriétaire, Just-Antoine de la Rivoire, ait été impliqué dans cette affaire. Les tribulations révolutionnaires ont conduit la famille de La Rivoire à vendre Vaussèche. Selon les archives consultées par différents auteurs, Jean-Pierre Pourret, notaire à Vernoux, l’achète en 1813 ou en 1817. Après sa mort en 1828, le château est acheté successivement par M. de Vallon, puis par Jean-Jacques Badon, maire de Vernoux, et revient, par héritage en 1849, à la famille Sonier de la Boissière qui le conserve jusqu’en juillet 2015, date à laquelle Dominique Joassin l’acquiert et décide de le réhabiliter.

vaussèche

Son architecture

C’est Dominique Joassin qui nous a accueillis et nous a expliqué l’architecture de Vaussèche. Il a tenu à nous faire faire le tour du château avant d’en visiter l’intérieur.
Composé de quatre tours rondes, dont deux ont été arasées et d’une tour rectangulaire dite tour Sarrasine, plus ancienne, Vaussèche laisse voir trois phases de construction du xiiie au xve siècle. Sur la façade ouest, on remarque les restes d’une fenêtre à meneaux avec des petits écussons qui a été bouchée. Dans la tour nord, au rez-de-chaussée, il subsiste des canonnières à ras du sol, traces d’une période peut-être antérieure au xiiie siècle. La partie en ruine aurait été édifiée au xviiie siècle.
Nous avons poursuivi la visite à l’intérieur du bâtiment découvrant dans la tour sud, à droite de la porte d’entrée, un escalier à vis qui distribue toutes les pièces sur différents niveaux. À gauche de l’entrée, nous avons pénétré dans la cuisine avec son évier en pierre, sa cheminée et son beau dallage en pierre, puis dans les pièces du rez-de-chaussée, toutes voûtées, notamment la « salle des gardes » qui possède une cheminée dans laquelle une porte donne accès au rez-de-chaussée de la tour nord.

vausseche cheminée

Cheminée du xve siècle

À l’étage, nous avons pu admirer une belle pièce de réception avec une immense cheminée du xve siècle – classée monument historique le 6 février 1981 et qui serait unique en Ardèche –, plusieurs fenêtres à meneaux et un plafond à la française. Cette grande salle, la plus prestigieuse du château, ouvre sur la chapelle à croisée d’ogives aménagée dans la tour sarrasine qu’éclairent quatre baies. Au-dessus, au troisième étage, une autre grande pièce avec cheminée du xvie siècle moins imposante que celle de la pièce de réception correspond à la partie « privée » de Vaussèche avant la Révolution.
Les pièces situées à gauche de l’escalier, à partir du premier étage, ont été beaucoup remaniées au xixe siècle.
Inscrit partiellement (façades et toiture) à l’inventaire des Monuments historiques depuis 1981, Vaussèche nécessite une nouvelle campagne de restauration. La Sauvegarde avait déjà apporté une aide en 1973 pour la consolidation de trois cheminées et en 1975 pour la réfection de la toiture. Conduite par l’architecte en chef des Monuments historiques, Didier Repellin, la restauration de la partie ouest devrait débuter en 2019, à la suite du permis de construire délivré fin 2017. Les travaux prévus sont la réfection complète de la toiture, d’une partie de la charpente et le rehaussement des deux tours qui avaient été arasées. Il est également prévu de rouvrir la fenêtre à meneaux située au deuxième étage côté ouest, d’en créer une au premier étage et de remettre en état les autres fenêtres du xve siècle à l’exception des deux du rez-de-chaussée. Cette restauration devrait permettre de faire revivre le lieu en proposant des manifestations culturelles et l’ouverture de la bâtisse au public. Il est possible de suivre l’évolution des chantiers grâce au blog : https://chateaudevausseche.com, que le propriétaire a ouvert.
À l’issue de la visite, nous avons pu discuter des futurs aménagements de Vaussèche avec Dominique Joassin, qui a su communiquer sa passion pour son château, et goûter les rafraichissements offerts et vivement appréciés pour clore cette après-midi ensoleillée de juillet.

Nathalie Viet-Depaule
d'après des notes de Dominique Joassin
(Visite de la Sauvegarde, juillet 2018)

Sources

Madame Jean Mirabel-Chambaud, Si Vernoux m’était conté…, édité par le syndicat d’initiative de Vernoux, 1969, p. 71-77.
Benoît d’Entrevaux (Florentin), Armorial du Vivarais, Marseille, Laffitte reprints, 1973, p. 476.
Riou (Michel), Ardèche, terre de châteaux, La fontaine de Siloé, Montmélian, 2002, p. 238-246.
Fournet-Fayard (Jocelyne), « Maisons fortes en Haut-Vivarais », Châteaux et maisons fortes en Vivarais, Mémoire d’Ardèche et Temps Présent, Cahier n° 123, 15 août 2014, p. 59-61.
Sonier de la Boissière (Claire), Château de Vaussèche. Aperçu d’architecture, monographie, s.l., s.d., déposé aux Archives départementales de l’Ardèche en 1997.