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AJOUX (Visite du 17 octobre 2013)

Après le casse-croûte ardéchois pris dans la salle communale de Pranles mise à notre disposition par la commune, nous voilà en route vers Ajoux où la Sauvegarde était passée en 1968 pour une courte visite, guidée par l’abbé Arnaud.
Parmi la quarantaine de participants à la sortie du 17 octobre, un petit nombre seulement connaissait Ajoux, commune d’Ardèche de 96 habitants, située dans les Boutières à quelques kilomètres de Pranles et du col de l’Escrinet. Pour tous ce fut l’occasion de se retrouver devant des paysages magnifiques, et pour le seul jour ensoleillé de la semaine !
Déjà, de Pranles à Ajoux par le col des Croix de Cresseylles, on découvre les serres et les vallées abruptes, où se nichent quelques hameaux éparpillés au milieu des landes ou châtaigneraies, car les hommes sont encore présents dans cette nature, pourtant pas toujours accueillante pour les urbains que nous sommes souvent devenus...
Le premier rendez-vous se situait au hameau du Rocher d’Ajoux, face au pointement basaltique, et ce fut l’occasion de situer un peu mieux cette commune dans son environnement rural : comme à Pranles, la commune est dispersée entre de nombreux hameaux, sans centre préférentiel : le Rocher d’Ajoux, puis le long d’une petite route longeant la vallée de l’Auzenet, Lavastret (la mairie), Greytus (l’église), et sur l’autre versant en face, Le Bouchet... Blaizac enfin, cul-de-sac après une quinzaine de kilomètres.
Le Rocher d’Ajoux est un élément important du paysage. À 750 m d’altitude, c’est un témoin des éruptions volcaniques de l’ère tertiaire, il y a 6 millions d’années ; il ne reste ici qu’un mur basaltique (un dyke) décapé par l'érosion et dominant sur le versant ouest un magnifique éboulis visible de très loin.
L’escalade, que nous ne ferons pas, en est déconseillée aux gens peu entraînés, mais du sommet on a un magnifique panorama à 360°...

Ajoux

Le rocher d'Ajoux

Localement, des silex taillés ont été trouvés et attestent d’une présence humaine déjà au néolithique 5 000 ans avant J-C ; l’occupation romaine est plus discrète, mais l’existence de lieux de culte gallo-romains, aux ier et iie siècles de notre ère, a été prouvée par les fouilles réalisées au sommet du roc de Gourdon, en limite de la commune actuelle d’Ajoux.
Au Moyen Âge, Ajoux était le chef-lieu d’un des quatre mandements des Boutières, il couvrait aussi Pourchères, Saint-Julien-du-Gua et une partie des autres communes voisines. Les comtes de Valentinois rendaient l’hommage pour Ajoux au comte de Toulouse (1239) et plus tard au roi de France (1280) ; les droits seigneuriaux passèrent en 1287 à Géraud Adhémar, comte d’Aps et Grignan, et en 1538 à Louis d’Anduze, seigneur de La Voulte.
Il y avait sur le rocher d’Ajoux le château seigneurial dont il ne reste pratiquement rien, sinon un contrefort appuyé sur le rocher à l’est. Le bourg castral est encore représenté par les quelques maisons anciennes que nous voyons devant nous. Notre groupe déambulera jusqu’au pied du rocher et entre les maisons du hameau dont certaines présentant des qualités architecturales intéressantes. La maison du notaire retiendra un peu notre attention, elle appartenait à Alexandre Charrier, notaire royal, et plus tard à la famille Estéoule, elle est figurée sur un plan de M. Estéoule joint à sa notice historique distribuée aux participants de la Sauvegarde en 1968.
Que de questions posées sur le rôle joué autrefois par l’agriculture, l’élevage, la culture du ver à soie (y avait-il des mûriers à cette altitude...700/800 m ?), la récolte des châtaignes... ! Rôle qui avait permis un développement démographique important, puisque Ajoux comptait plus de 500 habitants entre 1800 et 1886 pour décliner très rapidement à partir de 1900-1910, mais le creux de 1990 (71 h) semble précéder une lente reprise, et la population est plus jeune que la moyenne départementale. Certes il n’y a à Ajoux ni industrie ni commerces, tout juste quelques agriculteurs pour qui la châtaigne représente encore une source de revenus, plusieurs gîtes ruraux, un élevage de chevaux Halfinger, des roulottes en location, une passerelle en bois de châtaignier local construite il y a une vingtaine d’années sur l’Auzéne... et du travail à Privas à 15 km.
Après le Rocher, nous partons vers Greytus, à 4 ou 5 km, pour visiter l’église et parler un peu plus des personnalités locales civiles ou religieuses qui ont marqué leur époque.
L’église actuelle date de 1856 ; elle est d’une grande simplicité, sans décors superflus ; à l’intérieur, une statue en bois de la Vierge attire l’attention, son origine est inconnue car malheureusement on ne connaît pas l’inventaire de l'église précédente qui était située au Rocher, et eut une histoire mouvementée, puisque elle fut plusieurs fois démolie au moment des luttes religieuses. En 1583, lors de la visite canonique du vicaire général, « l’église est en ruine, depuis 20 ans aucun office catholique n’a été célébré, on ignore même s’il y a encore des catholiques dans ce pays ». Reconstruite plus tard grâce aux libéralités de Mgr de Suze, elle fut encore (partiellement ?) détruite en 1704.
Depuis la Réforme, les protestants étaient majoritaires, leur temple démoli en 1684 sera reconstruit en 1821 à La Pervenche avec les pierres de celui d’Ajoux.
Parmi les protestants les plus connus, on peut en citer deux : Louis Ranc, né en 1716 à Ajoux, qui fut pasteur en Dauphiné, arrêté et condamné à mort à Die en 1745, et Jean Rouvière né en 1689 à Blaizac, prédicateur en Vivarais au côté d’Antoine Court et de Pierre Durand.
Il y avait aussi des catholiques à Ajoux, tel Antoine de Rochefort. Rochefort était officier des gardes du corps du roi de 1770 à la Révolution et à ce titre il fit de longs séjours à Versailles sous les règnes de Louis XV et de Louis XVI. En 1793, quand son régiment fut dissous, il se réfugia à Blaizac, devint agriculteur, et fut maire d’Ajoux de 1808 à 1830. Pourquoi à Blaizac ? Parce que sa femme était justement originaire de ce lieu où sa famille avait des terres, une maison et des amis aussi bien dans le Vivarais qu’à Étoile et Valence. Passer de la cour de Versailles à un hameau des Boutières à cette époque troublée, quel changement pour cet homme sans fortune ! Et cela avec deux jeunes enfants... dont une fille qui épousa en 1819 Jean-Philippe de Brion, mon ancêtre il y a quatre générations.
Jean-Antoine écrivait beaucoup, sa correspondance pleine d’intérêt fait revivre à la fois la vie locale et les événements politiques, comme les journées de juillet 1830 où disparut la dynastie des Bourbons qui lui était chère, évènement qui provoqua son retrait de la vie municipale à cette date, peu avant sa mort en 1839.
Sur ces souvenirs se termina notre visite, occasion d’une découverte de paysages ardéchois insolites et des hommes qui les ont habités et façonnés.
Je tiens à remercier Claude de Seauve, René Féougier, ancien maire, et André Monteil, tous trois habitants d’Ajoux, grâce auxquels j’ai pu compléter mes connaissances sur leur village, et y retrouver la trace de mes lointains ancêtres.

Bernard de Brion

Bibliographie